L'équilibre du lexique mental en cas de bilinguisme franco-allemand et franco-italien (Monographie)

Le transfert revisité dans l'étude de l'attrition de la L1


Allgemeine Angaben

Autor(en)

Brigitte Eisenkolb

Verlag
Tectum
Stadt
Marburg
Stadt der Hochschule
Universität Mannheim
Publikationsdatum
2014
Abgabedatum
November 2014
Auflage
200
ISBN
978-3-8288-3460-6 ( im KVK suchen )
Thematik nach Sprachen
Französisch, Italienisch, Sprachübergreifend
Disziplin(en)
Sprachwissenschaft
Schlagwörter
Zweisprachigkeit, Mehrsprachigkeit, Transfer, Attrition, Kognition, Interferenz, Bilinguismus, Priming, mentales Lexikon, lexikalischer Zugriff, Augenbewegungsmessung, Sprachkompetenz

Exposé

Les chercheurs s’intéressant à l’apprentissage d’une seconde langue et à l’attrition de la première langue s’interrogent encore aujourd’hui sur les aspects de la langue susceptibles d’être affectés par une acquisition tardive de celle-ci ou par son absence d’utilisation. Les suppositions concernant le traitement cognitif de la langue et la nature de sa représentation chez les bilingues ainsi que son organisation demeurent sujettes à controverses. L’analyse du traitement lexical de la langue conduit nécessairement à une discussion sur la capacité cognitive (basée sur le principe de modularité) : plus ses processus de bas niveau sont automatisés, moins ils nécessitent de capacité cognitive, et plus lesdits processus sont intégrés à ceux de haut niveau. Compte tenu des limites de la capacité cognitive, l’effet d’amorçage inter-langues semble donc plus probable, chez les bilingues de niveau avancé.
Nous avons recours à deux techniques : celle de l’enregistrement de mouvements oculaires et celle de l’amorçage lexical. Nos participants sont des allemands ou des italiens émigrés en France ou des français émigrés en Allemagne ou en Italie, et, parallèlement, trois groupes contrôle de langue maternelle allemande, française ou italienne n’ayant aucune notion de la langue voisine. Dans la première expérience, une mesure des mouvements oculaires est effectuée et mise en relation avec les transferts négatifs (interférences) ortho-phonologiques, morphologiques et sémantiques entre le français et l’allemand. Les fixations initiales plus longues sur les phrases contenant des transferts négatifs reflètent la détection d’anomalies. Une plus grande probabilité de refixation et l’augmentation de la durée de celle-ci en cas d’interférences morphologiques et sémantiques semblent justifier l’hypothèse d’un traitement cognitif de haut niveau. Lors de trois expériences complémentaires, nous avons enregistré les temps de réaction et le nombre de réponses correctes lors d’un test d’amorçage de décision lexicale bilingue (BLDT). En condition ‘reliée’, la cible était la traduction équivalente de l’amorce ou un pseudomot résultant du transfert négatif d’aspects ortho-phonologiques ou morphologiques de la langue de présentation de l’amorce. Afin de tester l’accès au lexique bilingue, nous avons créé la condition ‘non-reliée’, présentant un mot cible n’ayant aucun lien sémantique avec la langue voisine.
La vitesse et l’exactitude des décisions lexicales montrent que le niveau de compétence dans une seconde langue (tel que révélé par les ‘C-Tests’) est directement lié aux traitements linguistiques, et qu’un niveau élevé mène à un amorçage inter-langues dans les deux langues. Les variables sociolinguistiques telles que ‘âge’, ‘âge d’acquisition’ et ‘temps de résidence’ servent surtout à prédire les résultats obtenus aux ‘C-Tests’. Par ailleurs, certains bilingues tardifs d’un haut niveau de compétence en L2 ont même répondu plus vite en cas de traduction proactive et paru tolérer des interférences ortho-phonologiques en L1. Cette dernière observation peut être interprétée comme étant le signe d’une attrition de la L1, où l’équilibre du lexique mental tend vers la L2.

Mots clés : accès lexical, amorçage, attrition, bilinguisme, influence inter-langues, lexique mental, période critique, test de décision lexicale, transfert négatif (interférence).

Inhalt

Préambule

Ce travail résulte d’un parcours universitaire pluridisciplinaire et d’un intérêt personnel pour le sujet étudié. Afin de permettre au lecteur une meilleure compréhension de l’approche choisie, nous lui proposons d’entrevoir notre conception d’une tentative de représentation de la réalité empirique de l’attrition. Au préalable, nous proposons une explication personnelle du choix de sujet d’étude qui est l’idée sortie d’une introspective lors d’un séjour prolongé dans un environnement français (L2).
Pour trouver l’actualité de nos recherches et le profil complet, vous êtes invité(e) à consulter notre page web : BrigitteEisenkolb.wix.com/attrition

La connaissance d’une langue – une question de maîtrise
• Aspects phraseologiques: tout apprenant d’une langue étrangère est conscient des problèmes d’équivalence en matière de traduction. Les mieux connus sont les faux-amis – et parmi eux, ce sont les mots structurellement proches d’une langue à l’autre (ex. : politesse (fr.) / Politesse (all.) – contractuelle (fr.)) qui nécessitent beaucoup de concentration pour les traduire correctement et « ne pas tomber dans le panneau » (* um nicht ins Schild zu fallen).
• Aspects sociologiques : apprendre une langue implique non seulement la nécessité d’acquérir une compétence linguistique, mais également celle de se familiariser avec les us et coutumes du pays concerné, ce qui implique une totale immersion de l’individu dans la société qui l’entoure. Notons qu’un sentiment d’insécurité linguistique n’est pas uniquement propre à l’apprenant d’une langue étrangère, mais qu’il peut également frapper le locuteur natif éprouvant un sentiment d’infériorité vis-à-vis des autres membres de sa communauté linguistique et se sentant en décalage avec eux.
• Aspects cognitifs : l’émergence d’une conscience multilingue due à l’acquisition de nouvelles compétences linguistiques peut en quelque sorte mener à un réajustement de la pensée. La faculté de savoir s’exprimer dans une seconde langue modifie la conscience linguistique (Hawkins, 1984 : ‘language awareness’). C’est ainsi que peut alors se développer un sentiment de « relativité linguistique » favorisant la prise d’une posture réflexive, c’est-à-dire la conscientisation ou sensibilisation langagière.
• Aspects métaphoriques : lorsque l’on parle de métaphores, on parle en images. Un non-natif peut avoir quelquefois du mal à distinguer le sens figuré du sens propre. A l’époque où je pensais déjà avoir un bon niveau de français, l’expression « prendre la mouche » m’intrigua tout spécialement: Je cherchais alors la mouche dont il était question, mais ne la trouvais pas. Mon interlocuteur m’expliqua donc le sens figuré de l’expression et je la transformai à ma guise: « Je ne prends pas la mouche – je joue avec! ». Je me mis ensuite à la recherche de son étymologie et trouvai son origine qui me plongea dans le Haut Moyen Age. En fait, dans ce contexte, ‘mouche’ se réfère au bouton que l’on fixait alors à la pointe d’un fleuret pour le rendre inoffensif. Ce qui signifie que si quelqu’un ‘prenait la mouche’, il rendait alors au fleuret son caractère offensif, de là le sens figuré de « prendre la mouche » : « se sentir offensé ».
Immersion – intégration – fusion : le cœur partagé
Nous venons de voir que la subtilité d’une langue ne peut être apprise de façon systématique et linéaire. Un séjour dans le pays demeurant le meilleur moyen de se familiariser avec une langue et ses locuteurs.
Le concept d’immersion linguistique est une réponse originale aux défis de l’intégration. Il s’agit d’une innovation canadienne, développée au Québec dès les années 1960, ou plus précisément d’une approche alternative à l’apprentissage traditionnel des langues étrangères. Cette approche implique concrètement une exposition intensive et de longue durée à une seconde langue. Le meilleur moyen étant des séjours linguistiques avec l’intégration dans une famille d’accueil de la langue d’immersion. En ce qui me concerne, c’est la raison pour laquelle j’ai participé à trois échanges scolaires entre l’Allemagne et la France. Ce programme d’échange a certainement porté ses fruits puisqu’il m’a motivée plus que jamais pour apprendre la langue de ce beau pays. Passionnée par la France, je cherchai alors à y retourner le plus souvent possible. C’est ainsi que, depuis lors, pour des raisons de proximité géographique, je passai la plupart de mes vacances en Alsace, et que j’appris le français courant et familier au point que quelqu’un qui ignorait la géographie de la France me demanda un jour : « Francfort, c’est dans quel département ? ». Question déroutante, mais que je pris pour un réel compliment.
Après avoir obtenu mon baccalauréat, je décidai alors d’accepter une place de fille au-pair, vers le bassin d’Arcachon. C’était en 1998, l’année où la France remporta pour la première fois la coupe du monde de football. Ce jour là, nous regardions le match au bord de la mer sur un écran géant. Selon mon souhait, on m’avait grimée des couleurs de la France sur les joues. J’étais de tout cœur avec l’équipe française et fière de sa glorieuse victoire. A présent, tout événement sportif opposant la France à l’Allemagne me déchire le cœur. Autrement dit, j’ai le cœur binational qui bat tant pour la France que pour l’Allemagne.

Parcours universitaire et centres d’intérêt scientifiques
Par amour pour la langue française, je décidai ultérieurement de continuer à l’étudier dans toute sa splendeur et complexité. Après mon séjour « au-pair » à Arcachon, je m’inscrivis donc à l’Université Johann Wolfgang Goethe de Francfort. Au bout d’un semestre d’études de français, espagnol et économie, je déménageai pour m’installer à Hambourg où je poursuivis ces études jusqu’à l’obtention d’une bourse dans le cadre d’un partenariat avec l’Université Michel de Montaigne à Pessac/Bordeaux. Bien qu’en Allemagne j’étais inscrite en Maîtrise, je dus alors – faute d’équivalences – m’inscrire de nouveau en Licence. Je décidai néanmoins de continuer mon parcours universitaire en France.
Mon mémoire de Maîtrise a pour titre « L’emploi du subjonctif en français contemporain – Une étude contrastive d’écrits de lycéens français et allemands » et porte sur la confusion qui règne au sujet de l’utilisation du subjonctif. Son bon usage pose effectivement de grands problèmes non seulement pour les apprentis de la langue française, mais également pour ses locuteurs natifs.

Le souhait de travailler sur quelque chose qui apporterait davantage de clarté au fonctionnement de la langue française et à sa logique m’a poussé à l’étudier de façon plus approfondie. Cette logique ne se situe pas seulement au niveau lexical ou morphologique, mais également au niveau grammatical. Dans les grammaires de conception structurelle on trouve généralement divers exercices sur le subjonctif à la suite de verbes et constructions vouées à le déclencher, mais ceci sans aucune cohérence d’ensemble. En revanche, dans les grammaires de conception traditionnelle, on trouve des tentatives d’explications et de classifications telles que le subjonctif de volonté, de supposition, de concession, etc. Mais même ces grammaires ne parviennent pas à expliquer de façon exhaustive les règles gouvernant le subjonctif, à savoir dans quelles situations l’on est obligé de l’employer et dans quelles autres on a le choix entre l’utilisation du subjonctif et celle de l’indicatif.
Ce chaos entre les différentes grammaires illustre bien à quel point l’usage du subjonctif est particulièrement délicat. Comment le locuteur français natif se comporte-t-il face à ce problème ? Met-il en place des stratégies pour contourner l’emploi de ce mode ? Quelle est l’origine des erreurs dans ce domaine ? Les problèmes d’emploi du subjonctif et les stratégies mises en place diffèrent-elles selon qu’il s’agisse d’un locuteur natif ou d’un apprenant avancé du français ? Voilà les différentes questions auxquelles je me suis évertuée à répondre.

Idée d’un projet de thèse
Ayant vécu quatre ans dans un environnement français, sans pratique régulière de ma langue maternelle, j’avais parfois des difficultés à trouver mes mots, à me rappeler d’expressions courantes en allemand et j’eus alors l’impression de parler comme un livre. Lorsqu’il fallait, par exemple, que je raconte en français une expérience vécue en Allemagne, ou vice-versa, j’avais même l’impression que ma langue se nouait.
Ce ne furent pas de simples problèmes d’alternance de codes, rencontrés auparavant avec une amie allemande (« Kannst du mir mal bitte den ‘Cendar passen’ »). Je pris toutefois conscience que cette aptitude à passer d’un code linguistique à l’autre n’était pas vraiment un atout, mais bien plutôt un problème requérant beaucoup de concentration pour l’éviter. Une soirée dans un « Sports bar » à Francfort, après un long séjour à Bordeaux, restera à jamais gravée dans ma mémoire, particulièrement en tant que linguiste : Je ne m’y sentis alors pas du tout à ma place ; en effet, le français restait omniprésent dans mon système cognitif et j’avais l’impression d’avoir une meilleure connexion sémantique entre la L2 et le niveau conceptuel. C’est ainsi que je me surpris en train de faire des traductions littérales de ma L2 à ma L1, ce qui s’exprima par des mots dérivés de racines latines. Une personne me reprocha alors mon registre trop soutenu utilisé pour l’occasion : « Pourquoi emploies-tu autant de mots étrangers ? Tu te crois supérieure à nous parce que tu fais de grandes études à l’étranger ? » A l’époque, ce discours me blessa terriblement. Malgré ma concentration, je n’arrivai plus à maîtriser ma propre langue. Etait-ce dû à la fatigue de mon long trajet en train ou bien à ma longue exposition à l’environnement linguistique de la L2 ?
Développement de la thématique
Lors de la conférence internationale « from gram to mind » (2005, Bordeaux), j’eus l’occasion de m’entretenir avec des scientifiques de diverses disciplines s’intéressant à des aspects spécifiques du traitement linguistique. Lorsque je parlai de mon idée de recherche à une jeune doctorante de l’Université de Toulouse – Le Mirail, celle-ci me demanda si je travaillais sur l’attrition. N’ayant jamais rencontré ce mot, je la questionnai sur sa signification. Il s’avéra qu’il existait déjà des recherches dans ce domaine et qu’on lui avait même attribué un terme spécifique – l’attrition. Elle me dirigea alors vers une autre chercheuse allemande qui travaillait dans ce domaine – en l’occurrence, Barbara Köpke. Par la suite, je me rendis à Toulouse pour la rencontrer. Elle me confia toute sa bibliographie portant sur l’attrition et me donna le temps de la consulter sur place. Après une lecture exhaustive, je commençai à monter mon propre projet de recherche.
En raison de mon origine, je décidai de travailler sur le bilinguisme franco-allemand chez les bilingues tardifs s’étant installés en France. Je me mis alors à la recherche d’allemands habitant dans la région bordelaise. L’étude pilote menée s’avéra pourtant trop coûteuse en temps. L’enregistrement des entretiens libres ou semi-directionnels était difficilement analysable. Je me tournai alors vers une méthode de psychologie expérimentale – celle de l’enregistrement de mouvements oculaires. Cette dernière permet de relever des indices de comportements et d’en déduire les processus cognitifs. Mon souhait d’utiliser cette méthode expérimentale spécifique, m’a amenée à entrer en contact avec M. Thierry Baccino, à l’époque Professeur de Psychologie cognitive et ergonomique à l’Université de Nice-Sophia Antipolis et actuellement Professeur de Psychologie cognitive des technologies numériques à l’Université de Paris VIII.
Grâce aux enregistrements oculaires, une méthode psycho-physiologique quantitative et non intrusive, il est possible de construire des expériences complexes contenant des distractions afin de détourner l’attention du sujet de l’objectif principal de la tâche et permettant alors d’éviter la mise en place par ledit sujet, de stratégies susceptibles de fausser les résultats. Pour explorer de façon approfondie le traitement lexical, nous avons également décidé de travailler avec des mots pris en dehors d’un contexte phrastique en utilisant un autre paradigme expérimental, à savoir, la méthode de l’amorçage lexical. Pour ce faire, nous avons eu recours au corpus de Mannheim où se trouve l’institut IDS (Institut für Deutsche Sprache), et notre directeur de thèse allemand, M. Johannes Müller-Lancé, Professeur de linguistique romane (titulaire de la chaire des langues romanes et des sciences des médias) qui s’intéresse notamment à l’intercompréhension (la didactique des langues voisines).
Par ailleurs, pour exclure tout impact éventuel de la parenté entre certaines langues (par ex. langues romanes), nous étudions dans cette thèse de doctorat deux combinaisons de bilinguisme : bilinguisme franco-allemand et bilinguisme franco-italien. Les expériences menées suivent également les travaux de recherche actuels sur le bilinguisme, tout en présentant un certain nombre d’originalités que je vous invite à découvrir dans les pages qui suivent.


Anmerkungen

keine

Ersteller des Eintrags
Brigitte Eisenkolb
Erstellungsdatum
Donnerstag, 04. Dezember 2014, 18:47 Uhr
Letzte Änderung
Freitag, 05. Dezember 2014, 18:45 Uhr