Stadt: Paris, Frankreich

Frist: 2014-05-20

Beginn: 2014-10-17

Ende: 2014-10-18

Journées d’études à l’Université Paris 13 les 17 et 18 octobre 2014.

Époque d’affirmation de la lecture individuelle et publique, le XIXe siècle est témoin de la massification du lectorat, d’une évolution significative de son alphabétisation et de son extension à de nouvelles catégories de personnes : ouvriers, femmes, enfants. C’est l’imprimé à diffusion périodique qui capte la majeure partie de ce lectorat et l’oriente, dans les foyers, les cafés, les cercles et les cabinets de lecture, vers les « lectures pour tous ». Les études socio-historiques ont souligné la diversité culturelle et la mixité sociale d’un tel public qui, face à la crise de la librairie et au coût du livre, fréquente les kiosques de location, lit le journal à différentes vitesses, parfois par sous-abonnement, et compile patiemment les livraisons du feuilleton. De la sorte, le journal est consulté, manipulé et conservé, en plus d’être montré et dit à la faveur d’une réclame qui le fait pénétrer dans l’espace public à grand renfort de crieurs et d’affiches.
En complément des traces de ces pratiques subsistant dans les archives des bureaux de rédaction, les registres des libraires-éditeurs et les rares catalogues conservés des cabinets de lectures, les études en littérature et en histoire culturelle ont investigué les témoignages livrés par la fiction littéraire. Elles ont révélé du lecteur une figure de récepteur à éduquer et moraliser, et ont élucidé notamment le topos des lectures pour grisettes et la répartition sexuée des catégories génériques. Exploitant la critique journalistique et les documents informant des jugements formulés par les acteurs de la vie littéraire, les études de réception ont quant à elles mis en évidence les manifestations discursives des réactions du public, que celui-ci soit restreint, moyen ou populaire. C’était là toucher à des données essentielles, puisque sa participation à la « civilisation du journal » et aux nouveaux espaces d’expression ainsi constitués offre à ce lectorat l’occasion de façonner le fait culturel en commentant l’actualité, en orientant le roman-feuilleton, en réagissant à la parution des œuvres. Pour autant, le lecteur comme acteur du champ littéraire interagit-il vraiment avec les écrivains, les éditeurs et les directeurs de journaux ?
Certes, le lecteur réel échappe pour une grande part au regard rétrospectif. Mais sa présence discursive en texte reste observable. À défaut d’évaluer la portée effective de ses interactions, on peut discerner ses voix dans les discours qui lui sont attribués. Comme dispositif pragmatique tourné vers les consommateurs, le journal est un vecteur déterminant de l’expression du lectorat. D’une part, il construit un système d’adresses et de réponses propice au dialogue différé des lecteurs avec les auteurs. D’autre part, il instaure une périodicité qui permet des effets sériels d’allusions et d’échos. Ce faisant, il programme une réception différenciée dans un nouveau mode de communication identifié à la naissance de l’ère médiatique sous la Monarchie de Juillet. La presse est alors le support où se négocient les modèles d’écritures et les valeurs littéraires, le lieu où s’observe l’évolution des ressources oratoires, parlementaires et cénaculaires, le terrain d’hybridation des discours, des genres et des styles. Présentés comme authentiques, mais bien souvent créés de toutes pièces par les équipes rédactionnelles, les retours du lecteur comportent d’intéressantes données culturelles et littéraires : discours critiques, échanges avec les instances d’émergence ou de diffusion, jugements métalittéraires, présentation d’extraits poétiques ou romanesques, revendication d’originalité ou reproche d’usurpation en littérature, etc.
Ce sont ces « voix » multiples que l’on propose d’étudier. De quels moyens le journal dispose-t-il pour donner la parole à ses lecteurs et que nous apprennent ces retours du récepteur ? Répondre à cette double question nécessite d’observer des lieux et des procédés qui vont de la rubrique spécifique (courrier du lecteur, correspondance, droit de réponse) au schéma discursif (dialogue, causerie, badinage), en passant par le cadre générique importé (modèle épistolaire, lettre ouverte) ou détourné de ses fonctions (notes de bas de page du feuilleton, encarts publicitaires). En observant ainsi la réception culturelle à travers sa réappropriation au sein du périodique, la réflexion entend préciser la genèse de la culture médiatique au tournant du siècle et, par contraste, déterminer les spécificités que lui apporte le XIXe siècle. C’est l’occasion d’examiner comment le médium intègre un imaginaire communicationnel qui participe à sa propre dynamique pragmatique – ce dont témoigne, au second degré, la mise en abyme de ses ressources par le journal lui-même : courrier des lecteurs parodique, interpellations moqueuses, déni ludique de la réception, etc.
Les voix du lecteur en journal constituent par ailleurs un mode d’accès privilégié à la variabilité socio-culturelle des pratiques de décodage et d’appropriation. Entre adhésion et démarcation, celles-ci révèlent des habitus de classes et des traits distinctifs propres à certains cercles de sociabilité. Touchant aux prérequis cognitifs et aux conditions culturelles de la lecture, elles laissent entrevoir la complexité des cadres de socialisation qui forment les lecteurs et la nature des communautés discursives qui fondent une part de leur dynamique sur la connivence entretenue avec le lectorat. Les résonances du lecteur dans la communication de grande diffusion, qu’emblématisent les jalons médiatiques de 1836 et de 1863, permettent-elles de mieux cerner les usages de l’objet textuel par la société du XIXe siècle ? Qu’apprenons-nous de la dynamique de l’interprétation qui s’y joue jusqu’au malentendu et au décodage erroné ?
En associant l’étude des imaginaires médiatiques à l’histoire culturelle des pratiques, ces deux journées ont pour objectif d’éclairer la question polémique des rôles et des statuts du lectorat pour déterminer dans quelle mesure le public participe au dialogue créatif avec les producteurs, à la configuration des genres, à la promotion des œuvres et aux définitions de l’écrivain en régime médiatique. On s’attachera autant aux modes supposés de lecture qu’à la créativité du journal dans sa manière de figurer sa propre réception. À rebours de l’idée reçue selon laquelle la diffusion accrue de l’imprimé aurait éclipsé la parole vive, la réflexion vise à penser les passages entre la causerie/conversation et le discours métalittéraire tels qu’ils se réalisent dans la presse. Cette étude doit permettre de mieux cerner les rôles respectifs des lecteurs-consommateurs, non spécifiques à la littérature, et des lecteurs-commentateurs impliqués dans le système littéraire.

Trois orientations sont proposées :

- historique : les informations sur le lecteur en journal sont susceptibles d’enrichir la connaissance lacunaire des phénomènes de réception au XIXe siècle. Quels sont, en particulier, les facteurs de succès ou du refus d’une œuvre déductibles des commentaires : attractivité culturelle, connivence idéologique, habitudes esthétiques ? Par ailleurs, les distinctions entre grande et petite presses se traduisent-elles par des traitements différents des voix du lecteur ? Enfin, le statut d’exception accordé à certains lecteurs par contraste avec un lecteur lambda participe-t-il d’une évolution vers la vedettarisation de l’homme de lettres ?

- poétique : l’articulation entre texte et discours au sein du journal est loin d’être circonscrite aux seules rubriques qui manifestent une interactivité avec le lecteur. Quelle que soit leur localisation, ces voix du lecteur font-elles apparaître le journal comme un espace de régularisation des discours ou d’expérimentation avec le langage ? Le discours assigné au lecteur est-il régi par une attention formelle (jeux de mots, aphorismes, métaphores, etc.) ou relève-t-il au contraire d’un emploi utilitaire, voire approximatif, de la langue ? On examinera à la fois les titres et les emplacements des rubriques, les postures auctoriales, les types de jugements engagés et les interactions figurées entre auteurs, lecteurs, rédacteurs, directeurs de journaux et éditeurs.

- méthodologique : le profil textuel du lecteur est doublement marqué par une activité d’interprétation et une présence en discours. Son identité varie du sujet empirique à l’acte énonciatif en passant par la convocation d’un lecteur modèle. Comment définir ces contours, dès lors qu’il faut composer avec une authenticité incertaine et une frontière floue entre lectorat supposé et effectif ? On considérera la poétique de la signature du courrier des lecteurs (cryptonyme, pseudonyme, présentation professionnelle, formules convenues, etc.), le rôle des discours constituants, la pragmatique dialogique et les modes de désignation du destinataire (interpellation, apostrophe, prosopopée, transposition en discours rapporté, etc.).

Modalités

Les journées d’études auront lieu à l’Université Paris 13 les 17 et 18 octobre 2014 et feront l’objet d’une publication ultérieure. Les propositions de participation (environ 500 mots) accompagnées d’une brève notice biobibliographique incluant coordonnées et mention de l’institution d’attache sont à adresser conjointement à Elina Absalyamova (elina.absalyamova@iutsd.univ-paris13.fr) et Valérie Stiénon (valerie.stienon@univ-paris13.fr) pour le 20 mai 2014.

Organisatrices : Elina Absalyamova et Valérie Stiénon (Université Paris 13 – PLÉIADE)

Beitrag von: Elina Absalyamova

Redaktion: Reto Zöllner