Frist: 2016-10-15

Beginn: 2017-05-01

Ende: 2016-09-10

La thématique de cet ouvrage collectif se situe au carrefour de l’histoire (interne et externe) des langues et du linguistic turn qui a cours, au plus tard depuis Foucault, en science historique. L’objectif est d’analyser des formations discursives – fondatrices, convergentes, divergentes – qui, dans des contextes socio-historiques déterminés (voire, ce qui pourrait être soumis à l’analyse, déterminants) s’inscrivent dans des historiographies tant savantes que populaires de langues.

Comme cas exemplaire de discours fondateur peut-on citer celui que G.I. Ascoli a mené relativement au francoprovençal, qui s’inscrit dans une épistémè bien définie, en l’occurrence la géolinguistique comme paradigme dominant en émergence dans les sciences du langage de son époque. Le même Ascoli est également à l’origine du terme « galloitalien » comme ensemble de dialectes parlés dans la zone nord-occidentale d’Italie. Si cette innovation se situe, sur le plan épistémologique, également dans l’orientation géolinguistique, comme prolongation du discours fondateur du francoprovençal, elle s’intègre à la fois dans le contexte socio-historique post-risorgimental et dans l’ensemble de la formation discursive légitimatrice et fondatrice du jeune État-nation italien. En convergence avec le discours fondateur ascolien, W. v. Wartburg a « démontré » l’individualité du francoprovençal et son indépendance vis-à-vis des autres « langues » galloromanes, notamment d’oïl, sur la base du superstrat burgonde, par analogie du rôle du superstrat franc dans la formation du français. En effet, la conception de Wartburg, lancée au début des années 1940, attribue aux conquérants germaniques une fonction déterminante dans la configuration géolinguistique de l’aire galloromane, ces derniers ayant insufflé une nouvelle énergie vitale aux peuplades romanes. Ce discours historiographique s’intègre clairement dans l’aire du temps et peut être interprété comme une sorte d’« invasion » linguistique (c’est-à-dire par le discours de la linguistique mobilisé comme dispositif légitimateur), corollaire de l’agression et de l’occupation militaire. Si les discours disciplinaires ont, entre-temps, largement réfuté l’hypothèse burgonde, elle remonte de temps en temps, dans différentes configurations discursives, à l’ordre du jour ; notamment, elle jouit d’un accueil très favorable dans les discours autonomistes au Val d’Aoste, qui visent à démontrer la parenté génétique étroite du francoprovençal avec le français dans le but de mener un discours légitimateur de politique linguistique. Par divergence, le mouvement dit Harpeitanya, dans l’aire francoprovençale et notamment au Val d’Aoste, rejette l’hypothèse du superstrat burgonde au profit d’un arché-substrat « bascoïde » dit « garalditan » qui aurait été parlé dans de vastes parties d’Europe et d’Afrique du nord. Comme dans d’autres cas de figure d’historiographie de langues minorées (basque, berbère, dans une moindre mesure occitane), l’amalgame qui est fait avec une commémoration mythisée, voire avec une sorte de cosmologie ethnospécifique (ou d’autre support ethnogénétique) peut être observé. Ce discours, qui remplace le glottonyme de francoprovençal par (h)arpitan, néologisme « garalditan », permet en même temps de faire le trait d’union idéologique avec l’ETA basque dans une orientation nationaliste d’extrême-gauche. En revanche, les mouvements revendicateurs du francoprovençal se réclament, à l’heure actuelle, toujours de l’(h)arpitan, mais l’orientation d’extrémisme politique semble avoir laissé sa place à un populisme folklorisé. Toutefois, la mythologie langagière qui peut être identifiée chez des locuteurs du francoprovençal au Val d’Aoste fait émerger des discours de folk linguistics qui rapprochent le francoprovençal génétiquement du français (« dialecte francophone » etc.), laissant ainsi apparaître des éléments de discours savants qui remontent à la surface discursive sous forme « réfractée ».

Or, il apparaît que les discours populaires qui construisent une relation génétique directe entre langues apparentées, voire « collatérales » en situation diglossique sont un phénomène récurrent permettant de jeter de la lumière sur des processus de politique linguistique. En effet, la politique d’arabisation dans les jeunes États maghrébins engendrent auprès de locuteurs arabophones des discours de folk linguistics qui établissent des filiations directes – idéologiquement séduisantes, mais historiquement fausses – entre l’arabe standard et l’arabe dialectal qui rappellent étrangement ladite configuration discursive de folk linguistics établie dans le domaine francoprovençal. Encore, le folklore langagier fait état d’éléments discursifs qui trouvent leur origine dans les discours officiels et savants, discours qui donnent naissance à une sédimentation de représentations métalinguistiques dont les composantes deviennent, par la suite, plus ou moins permutables, dans le sens d’un « bricolage » populaire d’idéologie identitaire langagière non seulement en grande partie mythisée, mais aussi corollaire populaire de l’hégémonie culturelle. Du côté berbère, en revanche, la situation est quelque peu différente au Maghreb. En raison de divers obstacles qui freinent la formation d’une société civile dans les jeunes États nord-africains, les revendications politiques se projettent sur des enjeux liés à des questions linguistico-culturelles, non seulement plus accessibles à la conscience, mais aussi plus propices à la mise en discours, notamment métalangagière. Ainsi, à l’instar du mouvement Harpeitanya en domaine francoprovençal, la question berbère au Maroc a donné la forme discursive à l’expression contestataire d’extrême-gauche. Aujourd’hui, surtout suite à la canalisation constitutionnelle comme réaction au « Printemps arabe » de 2011, les revendications d’aménagement linguistique en faveur du berbère sont, certes, largement satisfaites sur le plan institutionnel, mais encore au prix de l’orientation contre-hégémonique qui avait donné naissance au mouvement de reconnaissance ethno-langagière, alors qu’une berbérophonie non acculturée est surtout au Maroc, et en particulier parmi la jeune génération, quasiment inexistante. En revanche, la mythologie ethnolinguistique prend ici une forme tout à fait tangible par l’aménagement de la graphie tifinaghe, ancien système graphique touareg (donc a priori non maghrébin) devenu emblématique des activités institutionnalisées de « revitalisation » du berbère, même s’il reste à démontrer que les Berbères en avaient historiquement le monopole.

En dehors de la Romania et du monde de la Francophonie, de nombreux cas de standardisation, avec leurs courants et contre-courants et les relatives formations de mise en discours dans les différentes phases et situations du nation building process peuvent être relevés. Certains peuvent être considérés comme schismogénétiques. Ainsi, dans l’Allemagne de la Guerre froide, des linguistes germanistes affirment avoir repéré des tendances à l’autonomisation d’une variété standard spécifiquement est-allemande, entre autres sous l’effet de l’adstrat culturel russe. Ce discours schismogénétique est le corollaire d’une conception de la nation alors constitutionnellement consacrée en RDA qui visait à couper le lien entre la nation d’une part et la langue et la culture d’autre part, afin de remplacer l’ancienne conception allemande de la Kulturnation par une construction discursive nationale basée sur le système politique. Des cas de figure relevant d’autres contextes (Balkans, Afrique, Asie …) pourraient, bien sûr, également être cités et sont susceptibles de faire l’objet de contributions à ce numéro thématique.

Sur cet arrière-plan, plusieurs axes de questionnement peuvent être identifiés :

  • Est-il possible d’identifier des constantes dans les formations discursives dans des cas de figure différents, ou même divergents de politique linguistique ?
  • Peut-on identifier de grandes lignes dans la relation entre discours fondateurs, convergents et divergents ?
  • Quels enjeux sociétaux et culturels profonds révèlent ces discours ?
  • Dans quelle épistémè s’intègrent les différentes approches d’historiographie linguistique ?
  • Quels en sont les enjeux idéologiques ?
  • Quel est le rapport entre l’historiographie linguistique officielle et savante et l’oral history populaire des langues (folk linguistics) ?
  • Des implications ou conséquences plus largement anthropologiques peuvent-elles être identifiées (religion, mythologie …) ?
  • L’élucidation de la présente problématique peut-elle contribuer à la conceptualisation théorique de la problématique sociolinguistique des langues collatérales ?
  • Quel(s) enseignement(s) les sciences du langage peuvent-elles apporter à la science historique inspirée du linguistic turn en matière d’historiographie des langues, et vice versa ?
  • Des propositions transversales ou thématiquement situées en dehors de ces axes sont également les bienvenues.

Comité scientifique :
Frank Jablonka (Amiens/Vienne)
Peter Cichon (Vienne)
Ulrich Hoinkes (Kiel)
Maja Kalezić (Belgrade)
Georg Kremnitz (Vienne)
Catherine Miller (Aix-en-Provence)
Armin Owzar (Paris 3)
Philipp Sarasin (Zurich)
Claudia Schlaak (Mayence/Münster)
Falk Seiler (Giessen)
Robert Tanzmeister (Vienne)
Frédéric Torterat (Nice)
Eva Vetter (Vienne)

Calendrier :
Soumission de propositions d’articles : 15 octobre 2016
Soumission des articles (entre 30.000 et 50.000 signes, notes et espaces compris) : 1er mai 2017
Notification aux auteurs : 15 juin 2017
Soumission de la version finale des articles : 10 septembre 2017
Publication : hiver 2017-18

Les propositions d’articles – en français (de préférence) ou en anglais, de 10 à 15 lignes – sont à envoyer à Frank Jablonka : frank.jablonka@univie.ac.at // fjab@gmx.net

Beitrag von: Frank Jablonka

Redaktion: Christof Schöch