Voyager en BD: stratégies de représentation et mises en scène du voyage dans la bande dessinée francophone
Stadt: Passau
Frist: 2026-01-15
Beginn: 2026-06-05
Ende: 2026-06-06
Appel à contributions
Voyager en BD: stratégies de représentation et mises en scène du voyage dans la bande dessinée francophone
Colloque international, Université de Passau (Allemagne), 05.06. – 06.06.2026
« Heureux qui, comme Ulysse, a fait un beau voyage » (Joachim du Bellay)
Il est désormais incontestable que la représentation du voyage, sa mise en mots et / ou en images, est l’une des premières manifestations artistiques découlant de l’expérience du lointain, de la découverte de l’inconnu, de la rencontre de l’autre et de l’épreuve de l’altérité. En témoignent les séquençages narratifs sur les murs datant du paléolithique. Il en est de même de la mise en narration de l’expérience viatique comme l’une des plus anciennes formes narratives. Dessiné, peint, écrit, cartographié, lithographié, raconté, photographié, filmé : les gestes esthétiques de la représentation du voyage sont tout aussi variés que ses pratiques mêmes. De Gilgamesh à Sylvain Tesson, en passant par l’Odyssée homérique, Virgile, Marco Polo, Montaigne, Goethe, Mme de Staël, Stendhal, Chateaubriand, Lamartine, Jules Verne, Bouvier, – pour ne rappeler ici que quelques grands voyageurs-raconteurs – une véritable variété de formes, d’approches et de modes de narration atteste la vitalité d’une pratique qui est également une façon d’être au monde et dans le monde. Qu’elles soient réelles ou fictives, référentielles ou imaginées, qu’elles privilégient l’information et la rigueur scientifique ou qu’elles soient potentiellement riches en aventures, qu’elles témoignent du pèlerinage en terre sainte ou du rêve de la conquête spatiale et de l’exploration de nouveaux systèmes stellaires, les littératures du voyage s’ouvrent à une multitude de discours et sont susceptibles de s’intégrer à des genres ou sous-genres littéraires autonomes. Loin d’avoir dit leur dernier mot – et ceci nonobstant leur très longue histoire – les littératures du voyage jouissent toujours d’un intérêt croissant, dû, entre autres, aux mutations épistémologiques du XXe et du XXIe siècles, tels le « tournant spatial » et le « retour du réel » dans la littérature contemporaine. Qui plus est, à l’heure de l’anthropocène, le voyage vers et l’exploration des espaces extrêmes est d’une actualité brûlante, et participe d’une modification fondamentale de l’appréhension spatiale.
Avec la bande dessinée, le voyage, et surtout sa représentation graphique, connaît à son tour une popularité croissante. La production éditoriale foisonnante des dernières décennies montre à quel point l’intérêt pour le voyage, pour ses formes et ses enjeux, suscite l’engouement du public. Les mises en perspective de la pratique et de l’expérience viatique vont de l’adaptation des classiques de la littérature jusqu’à la science-fiction et aux voyages dystopiques, en passant par le carnet de voyage et le reportage. Des collections telles Glénat ou Futuropolis se mettent au service d’un inlassable attachement pour le voyage et prennent ainsi le contre-pied du tourisme planétaire, tout en ressuscitant et en réaffirmant le goût pour l’aventure. À une époque, précisément, où le voyage risque de se banaliser, sa représentation graphique semble informer l’hypothèse selon laquelle il n’y aurait plus rien à apprendre du et sur le voyage. Symptomatiques, dans ce sens, sont certes les modalités que la bande dessinée exploite afin de gérer la spatialité et la temporalité du voyage relaté. Qu’il s’agisse de la fragmentation, par cases, du départ, du déplacement vers des horizons plus ou moins éloignés, des dispositions variées du texte et de l’image, avec leurs blancs narratifs et leurs dislocations, ou des graphismes choisis (texture de la colorisation, rapports avec l’esthétique de la carte postale, techniques d’illustration dans la représentation des paysages, etc.) : les procédés graphiques et narratifs à l’œuvre dans la bande dessinée revendiquent une maturité du médium qui satisfait en égale mesure exigences artistiques et articulations thématiques.
Ainsi la bande dessinée enrichit-elle nos habitudes culturelles à lire le voyage, en tant qu’expérience concrète et matérielle du déplacement, et comme conscientisation de ce déplacement et des sens qui lui sont attribués. Ce colloque vise donc à tracer quelques contours de la culture du voyage en bande dessinée, en abordant, en particulier, les suivants axes d’analyse :
Voyages <littéraires> en bande dessinée : Un premier axe de recherche se propose de s’interroger sur les modalités graphiques et narratives à l’œuvre dans des adaptations d’ouvrages littéraires sur la thématique du voyage. Incontournables, dans cette perspective, sont les transpositions en BD de quelques romans célèbres de la collection Voyages extraordinaires de Jules Verne. La thématique du voyage y est consubstantielle, qu’il s’agisse de la description des modalités de voyage et des moyens utilisés ou du regard posé sur les espaces découverts. Les personnages verniens voyagent par les airs, plongent au plus profond de l’océan, se creusent un chemin jusqu’au centre de la terre et envisagent même la possibilité de voyager sur la lune. Exemples anticipés de fiction scientifique, les Voyages extraordinaires permettent de contourner non pas seulement les paradigmes dominants et les idées reçues de l’époque. En tant que prolongements possibles des sciences et des développements techniques du temps, ils opèrent des changements essentiels dans la façon de penser et de pratiquer le voyage. Les nombreuses transpositions des voyages verniens en bande dessinée s’emparent de l’esprit novateur de l’œuvre, pour le transposer au niveau des prouesses esthétiques. Certaines représentations graphiques déjouent les reproches de trahison et / ou de simplification pour s’aventurer dans des interprétations audacieuses et des réinventions des textes sources. Certaines stratégies utilisées témoignent d’un souci évident pour échapper aux effets du type « carte postale » et proposent l’intersection de l’univers vernien avec celui d’action de Kipling ou celui fantastique de Lovecraft (Nautilus, Mariolle / Grabowski / Béchu, Glénat, 2021; 20000 siècles sous les mers, Nolane / Dumas / Gonzalbo, Soleil, 2010, 2012), osent l’adaptation libre (Voyage sous les eaux, Rivière / Micheli / Dupas / Ferran, Emanuel Proust Éditions, 2003) et font même l’usage (graphique) de la mise en abyme (Voyage au centre de la terre, Dellisse / Laverdure, Claude Lefrancq Éditeur, 1997). Néanmoins, la bande dessinée ne se limite point à la seule transposition des « voyages extraordinaires » verniens. Elle s’adonne également à l’adaptation graphique de récits actuels sur le voyage. Le centre d’intérêt semble se déplacer désormais vers le carnet du voyage du touriste (Touriste, Julien Blanc-Gras / Mademoiselle Caroline, Delcourt, coll. « Mirages », 2015), vers la narration graphique d’empreinte autobiographique (Seul au monde, Serge Fino, quatre volumes, Glénat 2019, 2020, 2022, 2023) ou vers la perspective apocalyptique, de l’errance dans un monde dévasté (La Route, Manu Larcent, Dargaut, 2024).
Carnets de voyage et reportages : Ce deuxième axe souhaite explorer les outils narratifs et graphiques utilisés dans les carnets de voyage et les reportages en bande dessinée. Nous souhaitons analyser ici, au-delà de la dimension documentaire et de la vocation référentielle consubstantielle aux genres, les réflexions sur le voyage et sur la confrontation avec des ailleurs géographiques et culturels, de même que les dynamismes résultant de la focalisation sur l’« ailleurs », sur l’« autrui » et sur le « je », où viennent se mêler indicialité documentaire et marquage référentiel de la photographie, prises de notes, témoignages (Le Photographe, Guibert / Lefèvre / Lemercier, Dupuis, 2008). L’hybridation des pratiques (le journal intime joint le journal de bord ou de navigation, au témoignage s’ajoute l’anecdote) et les techniques graphiques et narratives à l’œuvre assurent la visibilité et la lisibilité d’une pratique (d’écriture) longtemps réservée à des catégories restreintes de lecteurs. Ainsi la représentation du réel ne saurait-elle se passer de l’enregistrement des impressions personnelles et de la mise en scène directe du voyageur-reporter. À l’impartialité supposée de ce dernier et à la dimension documentaire de son voyage font par conséquent contrepoint un subjectivisme assumé et la revendication d’un point de vue humain. Cette constante fait la spécificité, d’une part, des transpositions en BD de carnets de voyage anciens. Dans le but de faire découvrir de pans d’histoire peu connus sur les expéditions maritimes du passé (Le voyage de commodore Anson, Perrissin / Blanchin, Futuropolis, 2021), la narration graphique exploite différentes techniques de représentation, qui vont de la forme manuscrite de la trame narrative à l’intégration d’intermèdes documentaires (cartes et gravures), sans négliger cependant le coté épique de l’histoire. De l’autre, les voyages aux <terres de désolation> et dans des espaces de l’extrême ne sauraient se passer des réflexions sur la place de l’homme dans une nature aux frontières de la civilisation (Voyage aux îles de la désolation, Emmanuel Lepage, 2011 ; La lune est blanche, François et Emmanuel Lepage, Futuropolis, 2014) ou de focaliser, dans l’approche visuelle et narrative de la catastrophe nucléaire, en égale mesure l’humain (Un printemps à Tchernobyl, Emmanuel Lepage, Futuropolis, 2012). En outre, en adéquation avec les enjeux sociaux, géopolitiques et environnementaux consubstantiels au XXIe siècle, les reportages et les carnets de voyage en BD accordent également un intérêt particulier aux réflexions sur la préservation des espaces et sur les conséquences du réchauffement climatique, sans oublier les considérations sur les développements durables (Embarqué : Carnets marins dans le jardin du commandant, Cailleux, Futuropolis, 2015 ; Voyage en anthropocène, Guiot, Éditions Le Bord de l’Eau, 2022).
Usages du monde : touristes, auto-stoppeurs, globe-trotters, bohémiens… : Dans la lignée de Nicolas Bouvier et des conceptions développées dans L’Usage du monde (1963), cet axe de recherche s’intéresse avec prédilection aux fonctionnements intimes de l’art de voyager et vise à interroger les modalités individuelles d’orientation dans et d’appropriation de l’espace. Quels sont les concepts utilisés pour décrire l’expérience subjective du déplacement, quel rôle y jouent le sentiment de lenteur ou de vitesse ? Est-ce que la pratique du voyage contemporain relève plutôt du conformisme ou de l’anticonformisme, de l’aptitude au risque et du désir de déjouer le cliché ? Comment la narration graphique représente-t-elle le road-trip, quelles sont les implications esthétiques découlant du principe de réduction imposé à l’art séquentiel ? Comment la bande dessinée interroge-t-elle l’impact de la pandémie sur la pratique du voyage ? Une attention particulière sera également accordée à la représentation graphique du regard posé sur le monde et du travail perceptif (enregistrement des particularités sensorielles, immédiateté de la sensation, prédominance de la vue, etc.). Les problématiques mentionnées ci-dessus sont abordées, dans une diversité d’approches, dans un nombre considérable de bandes dessinées, telles : Le captivé, Dabitch / Durieux, Futuropolis, 2014 ; Come prima, Alfred, Delcourt, 2013 ; Au vent mauvais, Murat / Rascal, Futuropolis, 2013 ; Les deux vies de Baudouin, Toulmé, Delcourt, 2017 ; Prends soin de toi, Mardon, Futuropolis, 2017 ; Le voyage d’Abel, Sivan / Duhamel, Bamboo Edition, 2020 ; Visa transit, Crécy, Gallimard Jeunesse, 2019 ; Gold Star Mothers, Grive / Bernard, Delcourt, 2017 ; Un anglais dans mon arbre, Burton / Grand, Denoël, 2019 ; Bornées. Une histoire illustrée de la frontière, Fall, Numérique, 2024, etc.
Modalités de soumission d’une proposition
Les propositions de communication ne devront pas dépasser 300 mots et seront accompagnées d’une notice bio-bibliographique d’environ 150 mots. Elles seront envoyées par email au format Word à marina.hertrampf@uni-passau.de et mancas02@ads.uni-passau.de avant le 15 janvier 2026.
Calendrier
• date limite d’envoi des propositions : avant le 15 janvier 2026 ;
• notification d’acceptation : avant le 1er février 2026 ;
• dates du colloque : 5 et 6 juin 2026.
Organisation
Prof. Dr. Marina Ortrud Hertrampf, Université de Passau ; PD Dr. Magdalena Silvia Mancas, Université de Passau
Bibliographie sélective
Argod, Pascale. 2014. L’Art du carnet de voyage. Paris : Gallimard.
Bécel, Anne (éd.). 2013. L’Invention du voyage. Paris : Pocket.
Bertrand, Gilles (éd.). 2004. La Culture du voyage : pratiques et discours de la Renaissance à l’aube du XXe siècle. Paris : L’Harmattan.
Bischoff, Liouba. 2021. « Nouveaux bréviaires du voyageur. Guides littéraires, vade-mecum et théories viatiques au début du XXIe siècle », Viatica [En ligne], 8. URL : http://journals.openedition.org/viatica/1708 ; DOI : https://doi.org/10.52497/viatica1708
Dozo, Björn-Olav. 2010. « Note sur la bande dessinée de reportage », Textyles [En ligne], 36-37. URL : http://journals.openedition.org/textyles/1428 ; DOI : https://doi.org/10.4000/textyles.1428
Groensteen, Thierry. 2011. Bande dessinée et narration. Presses Universitaires de France.
Hertrampf, Marina Ortrud. 2020. « Guibert/Keler/Lemercier: Des nouvelles d’Alain (2011) – eine journalistische ,Graphic Road Novel‘ über periphere Grenzräume als Lebensräume europäischer Roma », in : Bauer, Sidona/Hagen, Kirsten von (éds.) : Aux frontières : Roma als Grenzgängerfiguren der Moderne / Aux frontières : Les Roms comme figures frontalières de la modernité, München : AVM, 181-199.
Hertrampf, Marina Ortrud. 2023. « Between Graphic Travelogue and Ethical Discussion of the Anthropocene or the History of Nuclear Power in France : Le droit du sol. Journal d‘un vertige by Étienne Davodeau », in : PhiN 96, 53–59.
Louÿs, Gilles. 2018. « Le carnet de voyage », Viatica [En ligne], 5. URL : http://journals.openedition.org/viatica/836 ; DOI : https://doi.org/10.4000/viatica.836
Louÿs, Gilles. 2014. « Nicolas Bouvier : Le corps médiateur », Viatica [En ligne], 1. URL : http://revues-msh.uca.fr/viatica/index.php?id=392; DOI : https://dx.doi.org/10.52497/viatica392
Maigret, Éric/Stefanelli, Matteo (éds.). 2012. La bande dessinée : une médiaculture. Paris : Armand Colin.
Maigret, Eric/Macé Eric (éds.). 2005. Penser les Médiacultures. Nouvelles pratiques et nouvelles approches de la représentation du monde, Paris, Armand Colin, coll. « Médiacultures ».
Marion, Philippe. 1993. Traces en cases. Travail graphique, figuration narrative et participation du lecteur (essai sur la bande dessinée). Louvain-la-neuve : Éd. Academia.
Pasquali, Adrien. 1995. « Récits de voyage et critique : un état des lieux », Textyles [En ligne], 12 | 1995. URL : http://journals.openedition.org/textyles/1949 ; DOI : https://doi.org/10.4000/textyles.1949
Vrydaghs, David. 2010. « Le récit de voyage en bande dessinée, entre autobiographie et reportage », Textyles [En ligne], 36-37. URL : http://journals.openedition.org/textyles/1427 ; DOI : https://doi.org/10.4000/textyles.1427
Beitrag von: Magdalena Mancas
Redaktion: Robert Hesselbach